VEILLE JURIDIQUE – IMMIGRATION ET RÉFUGIÉS

L’article 40 (3) de la LIPR fait t-il échec au dépot d’une demande de résidence permanente pour des considérations humanitaires en vertu de l’article 25(1) LIPR?

Appelé à se prononcer sur l’interprétation à donner aux paragraphes 40(3) de la LIPR mis en relation avec l’article 25 de la même loi, le juge de la Cour Fédérale, après une longue analyse, est venu à la conclusion qu’une seule interprétation était possible et qu’en l’absence d’énonciation claire de l’article 40 dans le libellé de l’article 25, le fait pour un demandeur d’être interdit de territoire pour fausses déclarations ne fait pas échec au dépôt d’une demande de résidence permanente pour des motifs humanitaires.

La question suivante a fait l’objet d’une certification: “L’étranger interdit de territoire pour fausses déclarations en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (LIPR), pendant la période énoncée à l’alinéa 40(2)(a) de la LIPR, peut-il présenter une demande pour obtenir le statut de résident permanent pour considérations d’ordre humanitaire au sens du paragraphe 25(1) de la LIPR, malgré l’interdiction de présenter une demande pour obtenir le statut de résident permanent prévue au paragraphe 40(3) de la LIPR ?”

Le représentant du Ministre ayant porté le dossier en appel, le 20 octobre 2022, la Cour d’Appel Fédérale a déclaré que son appel était théorique et a rejeté la demande de ce dernier. Dès lors, la décision rendue par la Cour Fédérale en octobre 2021 tient toujours (lien).

Me Nadia Jacques

“Il est raisonnable de s’appuyer sur la preuve de l’absence de connaissance que l’utilisation d’un passeport confère une protection diplomatique pour réfuter la présomption selon laquelle un réfugié qui acquiert et voyage avec un passeport délivré par son pays d’origine a eu l’intention de se prévaloir de la protection de cet État.”

Minister of Citizenship and immigration c. Maria Camila Galindo Camayo and United Nations High Commissioner for Refugees and Canadian Association of Refugee Lawyers, 2022 FCA 50, décision rendue le 29 mars 2022 (lien).

Mme Camayo a obtenu le statut de personne à protéger durant sa minorité sur la base des actes de persécutions dont sa mère avait fait l’objet. Durant sa minorité et ensuite après sa majorité elle effectue des voyages en Colombie et vers d’autres pays en utilisant son passeport colombien.

Le ministre demande que son statut de réfugié lui soit retiré. La Section de la Protection des réfugiés considère que de par ses voyages Mme Camayo s’est placée sous la protection de la Colombie et que son statut de réfugié doit lui être refusé. Mme Camayo demande le contrôle judiciaire de cette décision. Elle plaide qu’elle a voyagé en Colombie pour prendre soin de son père malade, qu’elle n’avait pas connaissance des conséquences de ces voyages sur son statut de réfugié et enfin que durant ses séjours elle a engagé des agents de sécurité privés armés chargés d’assurer sa protection. La Cour fédérale accueille la demande de contrôle de Mme Camayo, décide que la décision de la SPR est déraisonnable et certifie trois questions.

La Cour Fédérale d’appel répond à ces trois questions en reformulant toutefois les questions 2 et 3. Les questions sont les suivantes :

1. Une personne qui est admise en qualité de personne à protéger en étant incluse dans la demande de statut d’une autre personne sans que les risques qui la concernaient personnellement ne soient évalués, peut-elle perdre son statut en vertu du paragraphe 108(2) LIPR?

2. Est-il raisonnable pour la SPR de s’appuyer sur la preuve de l’absence (et encore moins toute) connaissance que l’utilisation d’un passeport confère une protection diplomatique pour réfuter la présomption qu’un réfugié qui acquiert et voyage avec un passeport délivré par son pays d’origine a eu l’intention de se prévaloir de la protection de cet État?

3. Est-il raisonnable que la SPR se fie à la preuve qu’un réfugié a pris des mesures pour se protéger contre leur agent de persécution (ou de celui d’un membre de leur famille qui est le demandeur principal du statut de réfugié) pour réfuter la présomption selon laquelle un réfugié acquiert (ou renouvelle) un passeport délivré par son pays d’origine et l’utilise pour retourner dans son pays d’origine a eu l’intention de se prévaloir de la protection de cet Etat ?

La Cour d’Appel fédérale répond aux trois questions par l’affirmative.

Dans son paragraphe [84] la Cour d’Appel Fédérale indique que la SPR doit tenir compte de « divers facteurs, dont les preuves devront être examinées et pondérées, qui seraient de nature à réfuter la présomption de perte de statut de réfugié ».

Parmi ces différents facteurs, on peut citer notamment :

– « La gravité des conséquences qu’une décision de mettre fin à l’asile ont pour la personne concernée. Lorsque l’impact d’une décision sur les droits et intérêts est grave, les raisons fournies à cette personne doivent refléter les enjeux : Vavilov 2019 CSC 65,

– L’état des connaissances de la personne en ce qui concerne les dispositions de cessation. La preuve qu’une personne est retournée dans son pays d’origine en toute connaissance de cause que cela puisse mettre en péril son statut de réfugié peut avoir des effets différents de la preuve qu’une personne n’est pas consciente des conséquences potentielles de ses actes ;

– Les attributs personnels de l’individu tels son âge, son éducation et son niveau de complexité ;

– L’identité de l’agent de persécution. C’est-à-dire est-ce que l’individu craint le gouvernement de son pays de nationalité ou prétend-il craindre un individu ?

– Si la personne a pris des mesures de précaution pendant qu’elle était dans son pays de nationalité. La preuve qu’un individu a pris des mesures pour dissimuler son retour, comme rester séquestré dans une maison ou un hôtel durant son séjour ou engager des agents de sécurité privé dans le pays d’origine peut être considéré différemment de la preuve que l’individu se déplaçait librement et ouvertement dans son pays de nationalité. »

Me Nadia Jacques

La SAR a violé le droit à l’équité procédurale en se prononçant sur le risque prospectif en Colombie alors que s’agissant d’une question nouvelle , elle avait l’obligation de permettre au demandeur d’asile de présenter ses observations sur la question

Gonzalez Jimenez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 479.

Le demandeur est citoyen vénézuélien et colombien. Il fait une demande d’asile au Canada en 2018 au motif qu’il crains de retourner au Vénézuéla et en Colombie en raison de ses opinions politiques.

En 2020, la SPR le juge crédible. Elle estime qu’il ne peut bénéficier de la protection de l’État vénézuélien ni d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) au Vénézuéla, toutefois elle juge qu’il n’a pas démontré par preuve claire et convaincante que la Colombie n’était pas en mesure de la protéger et rejette sa demande. Le demandeur fait appel de la décision.

En 2021 la SAR confirme la décision de rejet de la SPR, mais en raison du risque prospectif auquel le demandeur pourrait faire face en Colombie. Elle estime que la question du risque prospectif n’est pas une nouvelle question.

Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision au motif qu’il s’agissait d’une question nouvelle, que dès lors la SAR devait lui permettre de présenter ses observations sur la question et qu’en ne le faisant pas elle a manqué à son devoir d’équité procédurale.

La Cour fédérale rappelle la définition de « question nouvelle », à savoir « une question qui constitue un nouveau motif ou raisonnement, sur lequel s’appuie un décideur, autre que les moyens d’appel soulevés par le demandeur pour soutenir le caractère valide ou erroné de la décision portée en appel. » (Kwakwa c. Canada, 2016 CF 600).

Elle estime que le risque prospectif constituait une question nouvelle.

En effet, la Cour considère que même si le demandeur a présenté dans son mémoire des arguments sur sa possibilité de persécution en Colombie, c’était uniquement pour démontrer l’incapacité de la Colombie à le protéger.

Et pour reprendre la définition de la « question nouvelle » telle qu’il résulte de la décision « Kwakwa », la crainte du demandeur de persécution en Colombie n’était un moyen d’appel, mais un élément permettant d’illustrer son moyen d’appel. Par conséquent la SAR avait soulevée une question nouvelle en fondant sa décision sur le risque prospectif. Elle devait donc en aviser le demandeur afin qu’il puise présenter ses observations.

La Cour a considéré qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale et a accueilli la demande de contrôle judiciaire.

L’obligation d’équité procédurale comprend les droits de participation lesquels visent « à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal, institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées de présenter leur point de vue et des éléments de preuve qui seront dûment pris en considération par le décideur. » (Baker c. Canada, 1999 2 RCS 817.)

L’équité procédurale est un principe fondamental du droit administratif canadien.

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